Reconstruction ou Conor Bedard

Hier matin à la radio, Patrick Huard a crashé la chronique quotidienne du Youtuber Tony Marinaro, en direct sur les ondes de BPM Sports, alors qu’il était question des propos récents du directeur général des Canadiens Kent Hughes, lequel croit que l’équipe en a encore pour deux ou trois ans à se reconstruire avant d’espérer aller loin en séries éliminatoires.

Huard m’a surprise en disant ceci :

« Les partisans du CH n’ont pas acheté le plan de reconstruction, ils ont acheté le rêve Connor Bedard… à partir de la saison prochaine, ça ne tiendra plus. »

Capture d’écran de l’extrait du Forum de Tony Marinaro (BPM Sports), 22 mars 2023.

Selon lui, le public que l’on croit réceptif au plan de reconstruction de l’équipe serait en fait en train de rêver que les Canadiens gagnent à la loterie du prochain repêchage pour aller chercher un joueur qu’on dit générationnel en la personne de Conor Bedard. Ou, si vous préférez, cette patience inhabituelle s’expliquerait en réalité par un ralliement de beaucoup à la philosophie du tanking, qui consiste pour une équipe à faire exprès pour piquer du nez et terminer dernier volontairement pour aller repêcher le meilleur joueur disponible lors des assises estivales. Les fans, donc, souhaitent encore cette année que le CH finisse le plus bas possible au classement pour avoir le plus de chances possible d’acquérir Conor Bedard, qu’ils voient dans leurs céréales le matin.

Encore un tweet de fan qui réclame le tanking chez les Canadiens, 23 mars 2023 en fin de soirée.

Tout d’abord, le commissaire Gary Bettman prétend encore aujourd’hui qu’aucune équipe ne recourt au tanking; la loterie, de toute manière, constitue à elle seule une mesure anti-tanking assez bonne. Et ensuite, ce n’est manifestement pas ce que font les Canadiens, en tout cas pas leur entraîneur-chef Martin St-Louis, qui est un gagnant, un guerrier, que la défaite rend malade, me dit-on. Mais beaucoup (trop!) de fans semblent avoir ce mécanisme cognitif de défense, soit de la rationalisation face à la situation inacceptable de l’équipe en cette saison qui n’en finit plus de finir, pour garder la tête froide. Ça se voit, évidemment, sur les réseaux sociaux – et particulièrement Twitter – et ça s’entend dans les lignes ouvertes du soir, à la radio FM.

J’irais même plus loin : depuis la mi-février 2023, j’ai dû bloquer sur Twitter des zigotos qui sacraient à qui mieux-mieux parce que l’équipe a récolté une rare victoire, et ce soir, les Canadiens ont encore perdu contre 4-2 contre les Bruins, à Boston.

Et les Marinaro et autres analystes de ce monde croient que le public est patient envers la nouvelle direction des Canadiens, contrairement à un Patrick Huard qui en doute.

Vous savez quoi? Je crois que Huard a raison de douter de la patience des partisans des Canadiens, et voici pourquoi :

Tout d’abord, qu’on se le dise, cela fait 30 ans cette année que l’équipe n’a pas soulevé la Coupe Stanley. Je dirais même plus, ça fait 30 ans qu’aucune équipe du Canada ne l’a soulevée depuis que les Canadiens l’ont fait en 1993. Et plusieurs partisans plus âgés, qui ont connu ce dernier championnat, disent tout haut en avoir assez de toutes ces années infructueuses au point de se dire prêts à une longue reconstruction, prétendant au passage que toutes les stratégies adoptées par les derniers directeurs généraux de l’équipe – dont le reset de 2018 de Bergevin dont tous bénéficient aujourd’hui avec cette imposante banque de jeunes espoirs, et dont je crois que Jeff Gorton et Kent Hughes font du pouce dessus sans vergogne… – ne sont pas bonnes, et qu’il faut reprendre de zéro. Et pourtant, ces mêmes fans d’âge mûr sont les premiers à rêver de Conor Bedard… Tiens, tiens, on se contredit ici…

Ensuite, reportons-nous à l’an dernier, soit en 2021-2022. L’équipe sortait d’une participation à la finale de la Coupe Stanley, et a accordé à Dominique Ducharme un contrat de trois ans comme entraîneur-chef. Je considère que ce contrat était amplement mérité en raison de la qualité de son travail, puisqu’il a été appelé à la fin de février 2021 à frapper en relève à Claude Julien, a réussi à qualifier ses troupiers in extremis aux séries éliminatoires au terme d’une difficile séquence de 25 matchs en 43 soirs imposée par au moins une interruption des activités de l’équipe due au protocole COVID-19 implanté par la LNH, et est parvenu à mobiliser tout le monde pour causer bien des dégâts, en commençant par revenir d’un déficit de 3-1 contre les Maple Leafs de Toronto et les battre en 7 parties. Et on connaît la suite. Cette saison 2021-2022, donc, avait un calendrier proche d’une saison normale, soit 82 matchs sans restriction géographique, et tous les espoirs étaient permis.

Dominique Ducharme. 2 juillet 2021, durant la finale de la Coupe Stanley (match 3). Source: inconnue, désolée…

Malheureusement pour tous, dès le camp d’entraînement il était clair que le gardien Carey Price, qui s’est inscrit au programme d’assistance de la LNH et de l’Association des joueurs de la LNH pour un problème d’alcool qu’il a récemment avoué, ne reviendrait pas au jeu de sitôt. Marc Bergevin a pour sa part été aux prises avec la perte de plusieurs acteurs importants lors des dernières séries éliminatoires – Philip Danault, Corey Perry et Eric Staal pour ne nommer que ceux-là – lors du repêchage d’expansion et de l’ouverture du marché des agents libres, et a fait tant bien que mal des transactions pour compenser en calculant qu’il compterait sur son gardien de but numéro un pendant encore quelques années. Eh! non… Avec Jake Allen qui s’est blessé fréquemment et deux jeunes gardiens qui laissaient passer des ballons de plage, l’équipe se faisait défoncer soir après soir, et peinait à accumuler des victoires. Sans parler d’un important contingent de blessés et de plusieurs cas de COVID-19 qui ont plombé l’équipe, laquelle alignait un nombre non négligeable de joueurs du Rocket de Laval (et même un des Lions de Trois-Rivières). L’équipe a littéralement piqué du nez, et tout, absolument tout, a été mis sur le dos du pauvre Ducharme, qui s’est fait sèchement montrer la porte en février 2022. Les fans, qui l’ont acclamé durant les séries en 2021, ont vraiment la mèche courte… Non seulement lui, mais on a d’abord réclamé la tête de Marc Bergevin et celle de Trevor Timmins, dépisteur en chef… et on les a eues, elles aussi! Aujourd’hui avec du recul, je considère ces congédiements comme une réponse à l’impatience des fans, encore, qui pourtant n’en avaient à ce moment que pour Shane Wright, le jeune alors pressenti pour être le premier choix en juillet 2022. On connaît la suite : Montréal a gagné la loterie, bravo! mais a opté pour Juraj Slavkovsky à la place. Il y a eu de la déception, et déjà à ce moment-là on parlait de… Conor Bedard. Oui, oui, déjà!

24 juin 2021. Marc Bergevin. Image vraisemblablement de TVA Sports. Après la victoire des Canadiens sur les Golden Knights de Las Vegas pour accéder à la finale.

Et enfin, je tiens à mentionner qu’en 2020, avant même que les séries aient lieu dans la bulle avec en prime une ronde qualificative permettant de repêcher les équipes qui avant l’annulation des activités de la Ligue au début de la pandémie de COVID-19 frappaient à la porte des séries aux 9e et 10e rangs de leur association, je me souviens que des fans avaient la même pensée magique pour Alexis Lefrenière, qui a finalement été repêché par les Rangers de New York avant Noël. Tellement absurde, le Tricolore n’était même pas bon dernier à l’époque! Et pis encore, les Canadiens étaient dans la ronde qualificative et ont battu les Penguins pour faire les séries dans cette bulle. Malheureusement, ils ont perdu en première … Donc, le tanking est bien implanté dans la communauté depuis bien avant la dernière finale. Clairement, ça en dit long sur la patience des amateurs de hockey québécois.

Ce comportement d’évitement des fans n’en finit plus de m’étonner, mais en même temps, après avoir suivi les Canadiens ainsi qu’Internet dans le dernier quart de siècle, je ne suis pas surprise de voir autant de frustration et d’impatience en 30 ans. Comme si rêver d’un premier choix au repêchage était un remède de grand-mère contre la frustration et l’impatience. Mais malgré cette rationalisation, je considère que la fanbase des Canadiens tend à se rapprocher de celle des Maple Leafs, tant pour la frustration que pour les attentes inassouvies. Bref, tous m’étonnent par leurs innombrables contradictions. C’est pour cette raison que je trouve inhabituel de voir aussi peu de chialage si on exclut tous les tweets et commentaires Facebook sur le tanking et sur Conor Bedard, cette année.

Vous devez pourtant savoir qu’une reconstruction, c’est long. Et que les Canadiens de Montréal n’ont pas du tout choisi d’en faire une, elle s’est imposée d’elle-même à cause de l’absence de Carey Price. On n’a pas le choix de repartir à zéro, et la patience est de mise.

Je considère que Jeff Gorton, Kent Hughes et même Martin St-Louis ont de la chance aujourd’hui, car pour moins que ça, dans le passé, on a réclamé des têtes (et on les a eues). Souvenez-vous d’octobre 1995, quand les Canadiens ont connu un mauvais début de saison. Quatre défaites consécutives et… shlack! Le directeur général Serge Savard et l’entraîneur-chef Jacques Demers, artisans de la Coupe Stanley de 1993, ont été congédiés.

Je disais donc que la direction actuelle est vraiment chanceuse, car pour une seconde année consécutive, les Canadiens dominent la ligue en joueurs-matchs perdus en raison de l’imposante liste de blessés. Pour une seconde année consécutive, le produit offert en fin de saison n’est pas celui qu’on nous vend à la fin de l’été. Encore une fois, il y a beaucoup de joueurs du Rocket du Laval dans l’uniforme bleu-blanc-rouge. Ce n’est pas normal. Il y a clairement quelque chose qui cloche du côté du médical et de la préparation physique, et ce problème s’ajoute à d’autres problématiques récurrentes : avantage numérique anémique, unités spéciales en panne, absence de bon gardien de but pour succéder à Carey Price. Et je sais que je vais crever plusieurs bulles en disant que ces problèmes ne se règlent pas en repêchant un joueur de centre fût-il Conor Bedard, ni en congédiant l’entraîneur-chef. Et pourtant, les fans demandent l’un et/ou l’autre dès que ça va mal! Et si l’an prochain est un copier-coller de cette année et de l’an dernier, malheureusement je sens qu’on réclamera la tête de Martin St-Louis, que tous aiment tant aujourd’hui, et de MM. Hughes et Gorton à qui on a pourtant fait bon accueil…

Détrompez-vous, je ne veux pas que St-Louis se fasse congédier à son tour même si d’avoir montré la porte à Ducharme m’a enragée au plus haut point et que je le déplore encore aujourd’hui. Ça ne donnerait rien du tout. Idem pour le suivant…

Je crois donc, comme Patrick Huard hier matin, que la patience des fans a ses limites parce que c’est juste humain. Foncièrement, nous ne sommes pas patients. Ce serait dommage que l’équipe connaisse une troisième saison de blessures et de peu de points, mais si la direction ne se penche pas sur le travail de l’équipe médicale et de préparation physique, et qu’il y a encore trafic à l’infirmerie et beaucoup de jeunes du Rocket en uniforme dans les douze prochains mois, je crains bien que cette fois il y ait des réactions, et pas agréables.

Conor Bedard. Source: hockeydb.com

…si par bonheur Conor Bedard est repêché par les Canadiens qui remportent la loterie une deuxième fois (cela m’étonnerait), mais qu’il ne répond pas aux attentes, ce ne sera pas mieux.

…et si par malheur la loterie fait en sorte que Montréal repêche 4e ou 5e, faisant en sorte que le jeune tant convoité aboutit ailleurs dans la LNH, ce sera encore pire!

Je n’aimerais donc pas être à la place de Geoff Molson. Au-delà des débats actuels sur une reconstruction ou du tanking, je me demande si les fans seront vraiment et assez patients pour continuer de regarder les matchs, pour continuer d’acheter de la marchandise dérivée et même pour renouveler leur abonnement en attendant des jours meilleurs, car ce matin Jean-Charles Lajoie a lui-même avoué ne pas avoir renouvelé le sien en direct à la radio. Pour un animateur radio qui le dit tout haut, il y en a combien qui feront la même chose tout bas? Je n’aime pas trop ça…

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